Déclaration d’amour : mars 2021

La Journée mondiale de la francophonie est un événement annuel proposé par l’Organisation internationale de la francophonie, laquelle regroupe 88 États et a pour mission la promotion de la langue française, la diversité culturelle, l’éducation, la paix, la démocratie, les droits de l’homme et la coopération multilatérale au service du développement durable. Si le dernier rapport de l’Observatoire de la langue française estime qu’il y a 300 millions de locuteurs francophones, le Canada a sans aucun doute un rôle essentiel à jouer au sein de cette grande famille répartie sur les cinq continents.
 
TFS, pionnière de l’enseignement français dans le Canada anglophone depuis les années 1960, est fière d’avoir contribué à la valorisation du bilinguisme en tant qu’élément constitutif de la conscience nationale canadienne. Au diapason de notre identité historique, cette année nous avons l’honneur d’être un partenaire actif de la Semaine de la francophonie de Toronto, qui se tient entre le 20 et le 27 mars et propose une programmation variée d’activités artistiques, littéraires et scientifiques. Nos annexes se sont aussi mises aux couleurs de la francophonie avec des assemblées et d’autres initiatives qui lui sont consacrées (dont certaines conjointement avec nos écoles partenaires en France, en Espagne et au Maroc), afin d’offrir à nos élèves autant d’opportunités d’élargir leurs horizons sur un monde auquel ils accèdent par la maîtrise du français.

Dans ce contexte, on pourrait s’interroger sur les raisons pour lesquelles notre école a fait le choix de mettre en valeur la langue française au moment de sa fondation. On pourrait aussi se demander pourquoi nos élèves s’intéressent au français encore aujourd’hui, si pour la plupart il ne s’agit pas de leur langue maternelle. Sans prétendre apporter une réponse exhaustive, ma relation avec la langue française depuis le moment où j’ai commencé à l’apprendre en classe de CM1 sert à illustrer l’attachement que l’on peut professer à son égard, ainsi que l’importance du bilinguisme, voire du plurilinguisme, comme vecteurs d’interculturalité. En effet, chaque nouvelle langue que nous apprenons nous fait voir le monde d’une façon différente ; elle nous incite même à construire notre identité personnelle, citoyenne et humaine selon des critères qui lui sont propres.

Né à Barcelone, deuxième ville d’Espagne et capitale de ce que Cervantès appelait déjà au XVIIe siècle « la nation catalane », mon cœur bat au rythme des vagues de la Méditerranée. Comme peut-être vous le savez, les liens entre la Catalogne et la France sont historiquement très forts. Si à l’issue d’une longue guerre franco-espagnole, une partie de notre territoire (les vigueries du Roussillon, du Conflent et de Cerdagne) a été cédée à Louis XIV en vertu du Traité des Pyrénées, il n’en demeure pas moins que les Catalans ont continué de regarder la France avec une certaine admiration et même un désir d’émulation. Cette proximité géographique et affective s’exprime tout naturellement dans l’histoire de ma famille : c’est à Brassac, petit village du Tarn où un cousin de mon père était parti pour les vendanges, que j’établis mon premier contact avec la France. Une relation nouée à l’âge de huit ans pour ne plus jamais la défaire.

Tandis que l’existence d’un exilé est faite de refuges, celle d’un expatrié est faite de nouvelles patries : on ne s’enfuit pas, on n’essaie pas d’effacer une mémoire douloureuse ; au contraire, on ajoute d’autres paysages à son regard, d’autres pays à sa considération, à son admiration. Tel est mon cas. En tant qu’expatrié, il m’arrive parfois de penser comment se serait développée mon identité si je n’avais pas passé 24 ans de ma vie d’adulte en Angleterre. Ou, si en 2015, je n’eus pas entrepris un nouveau voyage à travers la mer pour m’installer au Canada. Aujourd’hui, pourtant, c’est de la France que je voudrais parler, de mon expérience à Paris en tant qu’étudiant universitaire, de mes balades dans les ruelles moyenâgeuses du Quartier latin ou tout au long de la Seine, de l’indélébile souvenir du Panthéon et de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, de la ferveur intellectuelle qui fourmillait dans cette ville socratique où tout est questionnable et questionné.

C’est bel et bien là, à Paris, que la langue française a commencé à devenir ma patrie, cette patrie ourdie au fil des pages des livres que j’ai touchés et que j’ai lus. Car c’est Mirabeau, « l’Orateur du peuple », qui m’a sensibilisé aux droits humains, et la révolutionnaire Olympe de Gouges qui a gravé dans mon esprit que la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Marguerite Yourcenar et Michel Tremblay m’ont montré la force de l’amour, qu’il soit incarné par un empereur romain ou par un jeune moqueur montréalais. Grâce à Colette, j’ai compris la détresse des poilus de la Grande Guerre, tandis que je dois à Albert Memmi et à Frantz Fanon la connaissance de l’abîme qui sépare les colonisés des colonisateurs. Si de Zola j’ai appris qu’il faut dénoncer les torts de la justice, Pierre Assouline m’a rappelé que la frontière entre le bien et le mal n’est pas toujours aussi nette que l’on ne le souhaiterait. Chez Pham duy Khiêm j’ai vu les ombres tropicales d’un pays lointain où l’on se déplace en remontant les fleuves, mais il m’a fallu lire Aimé Césaire pour prendre conscience que les descendants des esclaves, dépouillés de leur terre et de leur langue, ont besoin de vociférer, de hurler, de rugir comme des lions. Marguerite Duras et Simone Veil m’ont entraîné dans l’angoisse incommensurable des rescapés des camps d’extermination, et Tahar Ben Jelloun m’a fait comprendre que toutes les dictatures souillent la dignité humaine. Quant à Éric-Emmanuel Schmitt, pourrais-je jamais oublier ce qu’un de ses grands personnages m’a enseigné, à savoir que le sacrifice du héros est d’autant plus beau qu’il est inutile ? Pour finir ce parcours littéraire à travers les sentiments qui transpercent l’âme de tout homme et toute femme, je voudrais mentionner la Canadienne Gabrielle Roy, car c’est elle qui m’a réaffirmé dans ma conviction que tous les enfants sont bons et que la haine constitue la pire souffrance du genre humain.

La liste est longue, je vous l’accorde, mais je voulais la décliner en forme d’hommage à quelques-uns des auteurs qui m’accompagnent au long du chemin de ma vie. Parce que la langue n’est pas un répertoire de signes arbitraires qui tout simplement nomment les objets qui nous entourent, mais plutôt un complexe système philosophique qui nous offre une fenêtre depuis laquelle nous forger une vision particulière du monde et même une identité personnelle. Ainsi, quand nos élèves étudient les sciences, la géographie ou l’art en français, ils acquièrent les structures de pensée de cette langue et sont exposés aux réalités physiques et métaphysiques de ses locuteurs. Heureusement, à TFS, c’est la francophonie mondiale qui s’exprime et rayonne grâce à la présence de professionnels venus non seulement de la France ou du Québec, mais aussi d’autres pays tels que la Suisse, la Belgique, Haïti, le Liban, le Congo, le Tchad, le Maroc ou l’Algérie.

À l’élégance du français, ajoutez la diversité des langues maternelles de nos élèves, les langues anciennes et modernes qu’ils apprennent, et bien sûr la maîtrise qu’ils acquièrent de l’anglais, véhicule d’une vénérable tradition culturelle qui va de Chaucer à Virginia Woolf, de Shakespeare à James Baldwin. Sans aucun doute, vous constaterez que le plurilinguisme apporte à notre communauté scolaire quelque chose de très spécial, une profondeur ontologique et épistémologique incomparable. Les mots parlent aux élèves, ils leur ouvrent les portes de mondes auparavant inconnus. À titre d’exemple, lors de la Semaine de la poésie à La p’tite école, des poèmes ont été affichés sur les escaliers de l’entrée, un vers au bord de chaque marche, et j’ai été surpris de relever la curiosité des petits : ils s’arrêtaient et fixaient leur regard sur ces cursives mystérieuses pour tenter d’en saisir le sens. De même, j’ai été subjugué par la capacité intellectuelle des collégiens qui ont participé au concours « Les voix de la poésie » ; un parmi eux s’est emparé à merveille de deux grands textes poétiques de Charles Baudelaire et John Keats, qu’il a récités en français et en anglais avec une force admirable. Voilà la richesse linguistique et humaine de ce que je vois, ce que j’entends, dans nos salles de classe.

Si le catalan, l’espagnol, l’anglais, l’italien, l’allemand, l’hébreu, le japonais, le latin et le grec sont très proches de mon cœur, permettez-moi à l’occasion de la Semaine de la francophonie de proclamer à pleine voix, urbi et orbi, mon amour éternel pour la langue de Molière et de Racine. À l’instar d’Albert Camus, qui a tant chéri la Méditerranée, j’ose dire que « ma patrie, c’est la langue française ».

Puissent toutes les patries être aussi affectueuses, aussi reconnaissantes.

Dr Josep González
Chef d’établissement
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