Un monde à notre image : mai 2018

C’était un après-midi relativement chaud, mais une averse inattendue me força à m’abriter sous l’arcade d’une vieille fortification, où des générations de lieutenants du Roi vécurent pendant des siècles. J’étais sur la Côte Fleurie, près de l’estuaire de la Seine, à Honfleur. Sur un mur adjacent à l’arcade, un buste en bronze avec les armoiries du Québec attira mon attention.
Il s’agissait d’une représentation de Samuel de Champlain inaugurée à la fin du XIXe siècle par l’ambassadeur du Canada et les maires de Québec et de Honfleur, comme témoignage du fait que c’est de cette ville portuaire française que l’explorateur embarqua le 13 avril 1608, à bord de son navire le Don de Dieu, à destination du fleuve Saint-Laurent. Quelques instants avant l’averse, j’avais visité Sainte-Catherine, une église du XVe siècle construite en bois telle une coque de bateau renversée, où j’aperçus un drapeau canadien fièrement érigé à côté d’une plaque dédiée aux soldats morts durant la Seconde Guerre mondiale. Ceci n’avait rien de surprenant, car Honfleur est située en Normandie, à une heure de route des plages du débarquement allié de juin 1944.

C’est plus précisément à Deauville, près de Honfleur, que s’est tenu le mois dernier le congrès annuel de la Mission laïque française, une association réunissant une centaine d’écoles francophones de 38 pays différents. La réflexion de cette année portait sur l’application d’une pédagogie laïque au service du développement d’un monde interculturel. Sollicité en tant qu’orateur, j’ai évoqué le concept de l’apprentissage tel un voyage d’exploration à la recherche de soi même, telle une longue aventure au cours de laquelle les élèves déterminent progressivement leur identité en tant qu’êtres humains, leurs valeurs en tant que citoyens et leur rôle dans la poursuite du bien commun. C’est un périple en trois étapes, où l’enfant éprouve d’abord de l’intérêt pour sa propre personne (« mon » identité), puis pour son lien avec la collectivité (« notre » société) et enfin pour le monde dans son ensemble (l’espèce humaine et la planète). Du particulier au général, du concret à l’abstrait. Dans ce contexte, le rôle des langues est primordial. Si notre langue maternelle définit en partie qui nous sommes en tant que personnes, une bonne maîtrise des ressources linguistiques nous aide à élaborer des arguments sophistiqués lors de nos interactions sociales, et le plurilinguisme nous offre différentes perspectives sur le monde nous laissant entrevoir ce que nous pourrions appeler la conscience humaine universelle.

Je voudrais souligner que la dernière des trois étapes de ce voyage à la recherche de soi-même ne doit se limiter à l’acquisition de connaissances sur les affaires internationales, aussi important que cela puisse être. La liste de thématiques publiée sur le site Internet des Nations Unies est un bon point de départ, car elle nous apporte un aperçu des enjeux planétaires : la paix et la sécurité, les personnes âgées, l’Afrique, les océans et le droit de la mer, les femmes, les changements climatiques, les enfants, la santé, le VIH, le droit international et la justice, l’alimentation, la démocratie, l’énergie atomique, l’eau, la population, les droits de l’homme, les réfugiés et la décolonisation. Cela dit, je crois qu’il faut aller au-delà de ces thèmes pour explorer plus profondément les expériences communes de l’humanité, ainsi que nos différences, et essayer d’établir un dialogue interculturel qui nous aide à mieux comprendre et apprécier la complexité du monde.

Lors de mon intervention à Deauville, les participants au congrès de la Mission laïque ont exprimé leur admiration pour ce que nous accomplissons à TFS en donnant à nos élèves une vraie perspective universelle grâce à nos programmes éducatifs, à notre parcours citoyen et à d’autres initiatives telles que nos projets linguistiques et écologiques, nos semaines internationales, le marché hispanique, l’assemblée du jour du Souvenir et les conférences sur les droits de l’homme, pour ne citer que quelques exemples. Ainsi, nos élèves développent une conscience interculturelle qui leur permet de penser le monde dans sa globalité sans perdre leur attachement au Canada.

J’ai assisté à la plupart des séances plénières et des ateliers du colloque, mais il y a un projet lancé par un groupe d’écoles de France, du Maroc, d’Égypte et du Liban, qui m’a particulièrement impressionné. Leurs élèves ont collaboré tout au long d’une année scolaire pour effectuer des recherches sur les liens entre les différentes civilisations qui se sont développées sur les rivages de la Méditerranée au fil des siècles. Quelle belle façon de mettre en lumière les traits communs qui unissent les peuples au lieu de relever les disparités qui opposent les nations ! Ainsi que l’expliquait Youssef Chahine, le réalisateur de cinéma d’Alexandrie, « les pensées ont des ailes et personne ne peut les empêcher de s’envoler », ni même de traverser les mers.

Le point marquant de ce congrès fut pour moi la signature de la convention d’appariement entre TFS et le lycée Condorcet, l’un des plus anciens et prestigieux établissements d’enseignement public de Paris. Fondé en 1803 alors que Bonaparte était Premier Consul, un an avant qu’il ne devienne empereur, ce lycée s’honore d’une liste impressionnante d’anciens élèves, notamment quatre présidents de la République française, des poètes et romanciers tels que Paul Verlaine et Marcel Proust, ainsi que d’autres personnalités dont l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, le philosophe Henri Bergson, le poète-scénariste-réalisateur Jean Cocteau, le peintre Toulouse-Lautrec, l’auteur compositeur-interprète Serge Gainsbourg ou encore l’ingénieur et industriel André Citroën. Parmi ses enseignants au cours de la première moitié du XXe siècle, on peut mentionner Marcel Pagnol et Jean Paul Sartre. 

Le lycée Condorcet d’aujourd’hui n’est pas moins illustre. Madame le Proviseur, Christiane Borredon, le décrit comme « un lieu privilégié du savoir » qui se caractérise par l’exigence intellectuelle et par un esprit de responsabilité et de liberté, où l’effort mène à l’autonomie de la pensée et où « nul ne réussit sans apprendre des autres, de ses pairs, de ses maîtres ». En le visitant, j’ai réellement eu le sentiment que chaque lycéen visait à devenir un éminent citoyen de la République afin de pouvoir contribuer au bien commun, ce qui m’a aussitôt fait penser à nos propres élèves de TFS. Je suis persuadé que ce partenariat, qui impliquera la mise en œuvre de nombreux projets au cours des prochaines années, sera extrêmement bénéfique pour nos deux établissements.

Dans un article publié récemment dans The Globe and Mail, Michael Adams, le président de l’Institut de recherche Environics, explique que les Canadiens considèrent que les accomplissements les plus louables de notre pays, outre sa contribution aux opérations de maintien de la paix et d’aide humanitaire, se reflètent dans son bilinguisme, sa diversité culturelle et sa position historique vis-à-vis des immigrés et des réfugiés. Selon lui, le Canada est passé « d’une ancienne colonie de sujets déférents à une nation de citoyens du monde ». Cette vocation internationale des Canadiens a aussi constitué l’un des thèmes principaux du discours institutionnel prononcé par M. Justin Trudeau devant l’Assemblée nationale française le 17 avril 2018, soit 410 ans, presque jour pour jour, après le départ de Champlain de Honfleur. Le premier ministre a salué la mémoire des soldats qui ont combattu à Vimy et en Normandie pour sauvegarder la liberté, et il a exhorté les Canadiens et les Français à bâtir ensemble un monde « plus diversifié, plus vert, plus inclusif, plus ouvert, plus démocratique ; un monde plus libre, plus égal et plus fraternel ; un monde à notre image ». Un monde à l’image du Canada et de la France, deux nations alliées qui aspirent à transformer la société en favorisant une meilleure compréhension interculturelle entre les peuples.

Je suis convaincu qu’à TFS nos élèves partagent cette volonté. En tant que futurs « lieutenants » d’une planète fragile et vulnérable, ils se sont engagés dans un voyage de découverte qui les conduira du particulier au général, de l’individualisme à l’altruisme, du personnel à l’universel. Quelle que soit la carrière qu’ils décideront d’embrasser, je sais qu’ils contribueront, tout comme leurs pairs du lycée Condorcet, au progrès du monde. Et ils le feront avec conviction.

Puisse un vent favorable les pousser dans la bonne direction !

Dr Josep González
Chef d’établissement
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