Je ne reviendrai pas en arrière

Il y a quelques années, au début de l’année scolaire, pour briser la glace et nous présenter, j’ai demandé aux élèves de mon groupe de mentorat de raconter quelque chose de spécifique qui les caractérisait. 
J’ai été agréablement surpris par la réponse d’une personne en particulier, qui a expliqué être la seule d’origine mixte dans la salle, née de parents blanc et noir. Une fois les présentations terminées, je me suis permis de nuancer son propos en citant le vieil adage selon lequel on ne juge pas un livre à sa couverture, à savoir qu’en fait, je suis moi aussi l’enfant d’un parent noir.

Mes parents se sont mariés au Québec dans les années 1950. Ma mère était une francophone blanche dont les lointains ancêtres vivaient en Nouvelle-France et mon père était un Canadien noir d’origine antillaise. À bien des égards, mes parents furent les pionniers de leur génération ; ils ont fait preuve d’audace en défiant les vieux tabous et en ouvrant de nouvelles portes. Pourtant, leur choix de se marier « en dehors de leur communauté raciale » dérangeait profondément de nombreuses personnes (principalement la communauté blanche majoritaire), dont beaucoup trop le faisaient savoir au mépris de toute sensibilité. Le racisme était bien ancré dans le Canada des années 1950.

Enfants nés d’un mariage mixte, moi et ma fratrie en avons aussi fait l’expérience. Les injures, les questions bêtes, les insultes et même l’agressivité étaient monnaie courante. En ce temps-là, les gens pouvaient dire ce qu’ils voulaient dans une relative impunité. Étonnamment, les affronts les plus douloureux venaient des personnes les plus proches de soi. Je me souviens encore en détail d’un incident survenu pendant mes années d’études secondaires, au beau milieu d’un match de hockey. Un de mes amis proches jouait dans l’équipe adverse. Ayant tous les deux l’esprit de compétition, nous ne nous faisions pas de cadeaux pendant le match. À un moment donné, mon ami s’est tourné vers moi, furieux, et a crié à pleins poumons : « Espèce de (juron) Métis ! » Le jeu s’est arrêté et tout le monde a pris un air ébahi. Même si j’ai été témoin de comportements bien pires avant et après cet incident, l’idée qu’un ami proche puisse utiliser la race pour me blesser m’a fait l’effet d’une trahison. Cela m’a laissé un sentiment de colère, d’embarras et de solitude.

Avant de rejoindre TFS, j’ai eu le privilège de travailler pour l’Église Unie du Canada, un organisme religieux qui fait prévaloir l’inclusion et la sensibilisation. Un jour de février, j’ai eu l’occasion de présider un service pendant le Mois de l’histoire des Noirs. En préambule, j’ai cité l’éloge funèbre de Maya Angelou à la mémoire de son amie Coretta Scott King, la veuve de Martin Luther King Jr.

L’éloge commence par un chant : Je m’adresse au Seigneur et je ne reviendrai pas en arrière, non. J’irai, sans hésitation. Je verrai bien quelle sera l’issue.

Il se poursuit par la description d’un monde où règnent à la fois la paix et la justice : Je tiens à dire que je veux voir un monde meilleur. Je tiens à dire que je veux voir la paix s’y installer. Je tiens à dire que je veux voir de l’honnêteté, du respect. Je veux voir de la bienveillance et de la justice. Voilà ce que je veux voir, non seulement de mes propres yeux, mais aussi à travers les vôtres.

Malgré les nombreux obstacles à l’inclusion et à la diversité qui continuent d’avoir un effet néfaste sur notre société, je constate des progrès en matière d’honnêteté et de respect, notamment chez la jeune génération.

À TFS, chaque année scolaire, nous discutons en classe, en assemblée et en groupe de mentorat de sujets tels que l’amitié, l’inclusion, la tolérance, les différences, la discrimination, le harcèlement et l’intimidation. En effet, comme tout acteur de la société, nous ne sommes pas à l’abri de nos propres problèmes, incidents et moments blessants. Par ailleurs, nous entendons préparer les élèves à devenir des citoyens actifs, notamment en contribuant à bâtir une société plus juste à l’échelle du Canada et du monde. Notre mission exige que les élèves se consacrent à la poursuite du bien commun. Par rapport aux générations précédentes et à mon expérience personnelle, je suis toujours étonné de voir avec quelle facilité l’immense majorité des élèves pratiquent l’inclusion et l’acceptation des différences. Leur niveau d’inclusion et de tolérance dépasse tout ce que j’ai pu imaginer en grandissant.

L’an dernier, le meurtre de George Floyd est venu rappeler douloureusement l’ampleur du travail qui reste à accomplir. Même pour quelqu’un dont l’enfance a été marquée par des histoires comme celle d’Emmett Till, cet Afro-Américain de 14 ans qui a été lynché en 1955 pour avoir « offensé » une femme blanche, et des nombreuses autres personnes qui ont payé un lourd tribut à la haine et à la discrimination, les huit minutes et 46 secondes de la vidéo de George Floyd constituent un choc qui dépasse l’entendement.

Quand nous avons évoqué le meurtre de George Floyd en groupe de mentorat cette année, j’ai commencé par dire aux élèves présents que cet acte haineux et ce qu’il révèle de notre société sont une souffrance pour tout un chacun. Je leur ai parlé des générations précédentes, dont la mienne, qui ont lutté pour le progrès, face aux préjugés et à l’intolérance. Même si le chemin est encore long, l’attitude et les actions de jeunes gens comme eux me poussent à continuer de croire en un avenir meilleur. Je leur ai dit combien cela me faisait chaud au cœur de voir des jeunes de toutes origines descendre chaque jour dans la rue, par solidarité avec le mouvement Black Lives Matter. Le fait qu’une jeune personne de 17 ans soit restée aux côtés de George Floyd pour filmer ce crime odieux montre toute la force du témoignage. Les jeunes peuvent jouer un rôle déterminant et faire bouger les choses.

En 1955, un jury intégralement composé d’hommes blancs a acquitté les meurtriers d’Emmett Till. En 2021, un jury composé de personnes d’origines diverses a condamné un agent de police pour le meurtre de George Floyd. Entre ces deux dates, trop d’actes de haine insensés ont continué d’être commis. D’autres continuent encore de l’être aujourd’hui et la construction d’une société juste demeure incertaine. Le progrès ne se fait jamais facilement, ni en ligne droite.

L’arc de l’univers moral est long, mais il penche vers la justice, se plaisait à dire Martin Luther King Jr. Pour bon nombre d’entre nous, cela reste une affirmation d’optimisme et de foi en l’humanité. Même s’il faut lutter pour atteindre une justice sociale qui semble parfois bien lointaine, nous continuons à nous en approcher. Aujourd’hui, cet espoir trouve sa plus belle expression dans l’implication des jeunes qui montrent l’exemple en se mobilisant. Engageons-nous à leurs côtés pour nous occuper de ce que nous avons à faire et voir quelle sera l’issue.
Retour
CAMPUS DE TORONTO: 306, avenue Lawrence Est, Toronto, Ontario  M4N  1T7  Canada  416-484-6533    CAMPUS OUEST: 1293, avenue Meredith, Mississauga, Ontario  L5E 2E6  Canada  905-278-7243