La potée aux lentilles de mamie : mars 2020

Chocolat amer, ouvrage de l’auteure mexicaine Laura Esquivel, confère une place centrale à la nourriture. Chacun de ses 12 chapitres commence par une recette provenant d’un carnet hérité d’un ancêtre lointain, et la cuisine devient ici une forme de poésie. Si la littérature lyrique s’appuie sur la richesse lexicale et syntaxique de la langue pour inspirer les lecteurs, la protagoniste du roman combine des mesures précises d’ingrédients variés pour transmettre sa joie ou sa tristesse, son amour ou sa colère, son espoir ou son affliction, aux convives qui savourent ses plats. Et elle le fait non dans un sens figuré mais littéral, comme si les émotions pouvaient être communiquées et métabolisées par l’intermédiaire de la nourriture.
N’ayant aucun fondement scientifique, ce phénomène de transmission des sentiments par l’estomac n’apparaît que dans des contes de fées, des poèmes romantiques ou des romans issus du réalisme magique, courant littéraire latino-américain dans lequel s’insère Esquivel. Cela dit, force est de reconnaître que l’alimentation représente beaucoup plus qu’une action purement physique : elle revêt une dimension émotionnelle et sociale, car il s’agit d’un pan de culture qui se transmet de génération en génération. Elle joue également un rôle majeur dans les fêtes et les cérémonies qui jalonnent notre vie.

En effet, l’élaboration des plats et la façon dont nous les dégustons sont intrinsèquement liés à notre identité. Même si l’acte de manger constitue un rituel universel, la cuisine d’un peuple est déterminée par son histoire, son habitat naturel, ses structures économiques, ses valeurs, ses religions et traditions.

Étant donné que l’éducation est un voyage à la découverte de tout ce que l’humanité a créé au fil des siècles, la gastronomie devrait avoir sa place dans notre école en sa qualité de mode d’expression culturelle. Dans cette optique, nous avons commencé à réfléchir à plusieurs options pour l’an prochain en partenariat avec Chartwells, notre nouveau prestataire de services de restauration.

Les menus intégreront des mets représentatifs de la cuisine locale et internationale et, sous la houlette d’un nouveau chef qui a fait ses preuves à la tête de plusieurs grandes organisations et restaurants, les élèves de nos quatre annexes bénéficieront de nouvelles initiatives leur permettant de cultiver une relation plus personnelle et profonde avec la nourriture. Cette idée a suscité beaucoup d’enthousiasme chez les élèves lors des réunions que nous avons organisées pour recueillir leur avis.

En outre, nous espérons transformer certains des espaces de préparation et de restauration. La cuisine de l’École secondaire sera agrandie pour mieux répondre aux attentes des quatre annexes sur nos deux campus, et la Terrasse (construite il y a 17 ans) sera repensée pour promouvoir un nouveau rapport avec la nourriture. Au lieu d’une cafétéria où le déjeuner est souvent vécu comme une simple activité pratique, nous aimerions créer une salle à manger alliant l’ambiance chaleureuse des repas de famille au raffinement d’une école comme TFS, dont le trait distinctif est l’exigence à tous les niveaux. Ayant atteint notre capacité maximale, ces rénovations sont essentielles pour subvenir à nos besoins matériels, mais aussi pour concrétiser notre ambitieux projet d’établissement, qui met l’accent sur l’épanouissement complet des élèves en tant qu’êtres humains et citoyens. 
 
La nouvelle salle à manger sera le théâtre idéal d’une initiative récemment mise en œuvre au sein de l’École secondaire, qui en ce moment se déroule dans la salle polyvalente. Plusieurs fois dans l’année, les élèves déjeunent ensemble par groupe de mentorat et, au cours des repas, leur mentor les encourage à échanger sur des sujets tels que les grands enjeux transnationaux, l’importance d’une nouvelle découverte scientifique ou le fondement éthique d’une décision particulière. Tous les dispositifs électroniques sont mis de côté au profit du pouvoir persuasif de la parole. Les déjeuners hebdomadaires que j’organise dans mon bureau avec des lycéens démontrent aussi que les bonnes conversations autour d’une table sont propices au renforcement des liens affectifs, à l’apprentissage des règles de bienséance et au perfectionnement de compétences telles que la pensée critique. 
 
Il va sans dire que nos nouvelles initiatives promouvront la santé et le bien-être des élèves et du personnel, ainsi que le développement durable. À titre d’exemple, la vaisselle en porcelaine et les couverts en métal viendront remplacer les contenants jetables et les ustensiles en plastique. Nous installerons aussi des éclairages LED à intensité réglable, ce qui contribuera à réduire notre consommation énergétique. C’est un grand moment pour notre école, car la construction des nouveaux espaces pose le premier jalon de notre ambitieux Plan directeur.
 
Ce projet a éveillé l’intérêt de notre communauté scolaire lors d’une enquête récente, raison pour laquelle nous comptons sur votre aide pour réussir à le concrétiser d’ici la prochaine rentrée scolaire. Cela nous permettra aussi de tirer le meilleur parti du partenariat que nous avons signé avec notre nouveau prestataire de services de restauration. Au cours des prochains mois, nous vous fournirons davantage d’informations et je me réjouis d’avance de vous accueillir dans notre nouvelle salle à manger, pour porter un toast à l’avenir de l’école. 
 
J’aimerais conclure sur un beau souvenir d’enfance qui concerne mon arrière-grand-mère, une femme admirable qui adorait la potée aux lentilles et faisait la cuisine comme s’il s’agissait d’un rituel atavique. Mamie (comme je l’appelais affectueusement) conservait ses lentilles dans un bocal en verre et elle me demandait, pour m’enseigner la patience, de les disperser sur la table et de les trier pour en retirer les petits cailloux qui s’y étaient mêlés par erreur lors de la récolte et l’emballage. Il me fallait une bonne heure pour mener à bien cette opération délicate, mais j’y mettais toujours beaucoup d’application, car je ne voulais pas décevoir mamie ou risquer que quelqu’un se casse une dent en dégustant la potée. Quand j’avais terminé, elle lavait soigneusement les lentilles et les plaçait dans une grande casserole remplie d’eau de source. Elle y ajoutait alors une pomme de terre coupée en gros morceaux, une tomate entière, quelques tranches de boudin provenant de son Andalousie natale, plusieurs gousses d’ail non pelées, des feuilles de laurier, un filet d’huile d’olive et une généreuse pincée de sel. 
 
Je me souviens encore du long mijotage de la potée à tout petit feu. Je me souviens encore des arômes exotiques qui me transportaient vers les contrées lointaines où mamie avait vu le jour lors d’une froide nuit d’hiver à la fin du XIXe siècle. Par-dessus tout, je me souviens encore de l’amour qu’elle me portait. 
 
La nourriture aurait-elle bel et bien des vertus magiques ?
 

Dr Josep González
Chef d’établissement
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